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Philosophie, écologie, politique. Florent Bussy, Professeur de philosophie.
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23 mai 2014

Les Zindigné-e-s 15 article sur la gratuité

Les Zindignées

La gratuité est-elle une utopie ?

Réflexions à partir de William Morris

Florent Bussy

Les Zindigné(e)s (et auparavant Le Sarkophage) valorisent la gratuité des biens communs (eau, énergie) et des services permettant de garantir à chacun des droits fondamentaux (santé, transports, revenu universel etc.), contre leur marchandisation et le gaspillage lié à la recherche du profit. La gratuité est au cœur d’un combat politique de rupture avec le capitalisme. Déjà William Morris avait imaginé, dans ses Nouvelles de nulle part, une société fondée sur une gratuité totale.

 

Nous vivons aujourd’hui dans une tension forte entre la raréfaction des ressources naturelles d’un côté et la recherche du profit de l’autre côté. Le gaspillage coûte cher, mais il est au cœur de la société de consommation. Le capitalisme est une impasse, parce qu’il détruit les produits du travail humain et généralise l’avidité. Pourtant, toutes les solutions envisagées pour sortir du capitalisme ont été jusqu’à présent vaines, parce qu’elles étaient fondées sur une abolition violente de la propriété privée au profit de l’étatisation de l’économie. Penseur socialiste en rupture de ban avec le marxisme officiel, William Morris présente une voie différente du progressisme et de la justice sociale. Il appartient aux courants socialistes qui ont au contraire pensé l’épanouissement des personnes dans un contexte d’association et de coopération volontaires.

Utopie assumée, les Nouvelles de nulle part ont toutefois le mérite de mettre en évidence les ressorts de la violence, de l’inégalité, de l’individualisme dans les sociétés modernes. Sa lecture nous dépayse, non pas au sens d’un simple exotisme, mais au sens du pas de côté à l’égard de notre présent. Il imagine la gratuité comme le ciment de la société et des échanges.

« Les choses que nous fabriquons, c’est parce qu’elles répondent à un besoin : chacun fabrique pour l’usage de ses voisins, comme il le ferait pour le sien propre, et non pas pour un vague marché dont il ignore tout et qui lui échappe : comme il n’y a ni vente ni achat, ce serait pure folie que de faire des objets pour le cas où l’on pourrait les demander ; car on ne peut plus forcer personne à les acheter. Ainsi tout ce qu’on fabrique est de bonne qualité et parfaitement adapté à ses fins. […] Comme rien ne nous oblige à fabriquer d’immenses quantités de choses inutiles, nous disposons du temps et des ressources qui nous permettent de prendre en considération le plaisir que nous procure la fabrication. […] Vous voyez bien maintenant que, dans ces conditions, tout le travail que nous fournissons est un exercice plus ou moins attrayant de l’esprit et du corps ; de sorte que, au lieu de l’éviter, tout le monde le recherche. »[1]

La gratuité totale est évidemment une utopie dans le sens de ce qui n’est pas réalisable, parce qu’elle fait l’économie de la rivalité qui lie les hommes et des conflits qui en procèdent. Mais assurer la gratuité des biens communs, garantir des droits fondamentaux à chaque personne, c’est faire que cette rivalité ne se traduise pas par la guerre de tous contre tous inhérente au capitalisme. Dans une société de la gratuité et des droits humains, les conflits demeureraient, mais on aurait fait disparaître l’une des sources majeures de la violence, la pénurie. La gratuité permet, culturellement, de rompre avec la guerre capitaliste : elle met à l’abri de la rapacité des pans entiers de l’économie, elle assure la satisfaction des besoins humains premiers et évite d’entrer dans la spirale infernale du dumping social, en retirant à la casse du droit du travail le point d’appui que constitue la nécessité de vendre sa force de travail à tout prix.

Si on dispose d’un revenu universel, si les besoins fondamentaux sont couverts par des services gratuits, on ne travaille alors pas par nécessité, mais pour des raisons d’utilité sociale, d’épanouissement personnel et de production de biens facultatifs. À l’opposé de la « valeur-travail » sarkozyste, qui ne conçoit le métier que comme une contrainte, au mieux motivée par l’appât d’un gain fictif, dont les salariés n’ont pas vu le commencement de la couleur dans les dernières décennies du capitalisme, la gratuité contribue à revaloriser la noblesse du travail, en même temps qu’à lutter contre la destruction des droits des salariés, la misère de masse et la crise écologique (transports publics, gratuité de l’eau et de l’énergie dans le cadre de leur gestion publique).

« La malédiction de la guerre commerciale est si répandue que ses ravages n’épargnent aucun pays. Devant elle des traditions vieilles de mille ans s’effondrent en l’espace d’une année. Vient-elle à frapper un pays faible ou à demi-barbare, le peu de plaisir, de poésie ou d’art qui y existait est vite foulé aux pieds en une fange de hideur et d’abjection. L’artisan de l’Inde ou de Java ne pourra plus s’adonner tranquillement à son art, au rythme de quelques heures journalières, pour composer sur son étoffe un entrelacs d’une ravissante beauté : une machine à vapeur est entrée en action à Manchester, et ce qui représente une victoire remportée sur la nature et mille difficultés opiniâtres va vulgairement servir à produire une espèce de vile porcelaine plâtreuse ; le travailleur d’Asie, s’il n’en est pas immédiatement réduit à mourir de faim, comme c’est souvent le cas, se voit contraint de prendre à son tour le chemin de l’usine, pour faire baisser le salaire de son collègue de Manchester ; et le voilà dépouillé de tout caractère original ».[2]

L’autonomie, la fraternité, la coopération, la décence, la beauté sont les maîtres-mots de l’œuvre de William Morris et doivent être considérées comme des valeurs oubliées des sociétés dominées par la technique et la guerre contre la nature, pourtant seules à même de conférer à notre espèce un avenir, au regard de la crise climatique en plein développement et de la compétition économique débridée. Dès 1884, il constatait : « La conquête de la Nature est achevée, pour ainsi dire. Il nous appartient maintenant, et depuis déjà longtemps, d’organiser l’homme, qui tient en mains les forces de la Nature. »[3] Pour ce faire, il convient de repenser les besoins humains, plutôt que de se soumettre aux illusions engendrées par le commerce et le moindre coût de produits médiocres. William Morris les énumère : santé, instruction, partage et humanisation du travail, embellissement du cadre matériel de la vie. Avec la gratuité et la satisfaction des besoins fondamentaux, l’égalité est replacée au cœur du vivre ensemble, permettant la rupture avec le paradigme de la guerre commerciale totale (« concurrence libre et non faussée »), qui apparaît alors pour ce qu’elle est, une sauvagerie. « Chose étrange, n’est-ce pas, qu’on ait pu si peu tenir compte de ce désir d’une complète égalité que nous reconnaissons aujourd’hui comme le ciment de toute société humaine heureuse. »[4]



[1] William Morris, Nouvelles de nulle part, trad. V. Dupont, Montreuil, 2009, L’Altiplano, pp. 230-231. (http://www.laltiplano.fr/nouvelles-de-nulle-part.pdf)

 

 

[2] William Morris, Comment nous pourrions vivre, Le Pré Saint-Gervais, Le passager clandestin, 2010, pp. 50-51.

[3] Idem, p. 60.

[4] Nouvelles de nulle part, op. cit., p. 425.

- le mensuel des alternatives et des résistances sous la direction de Paul Ariès
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Les Zindigné(e)s est aussi un mensuel de combats pour la gratuité des services publics et l'obtention d'un revenu pour tous même sans emploi, pour la réduction du temps de travail, pour le ralentissement, pour la relocalisation, pour les monnaies locales, pour la désobéissance, pour la démocratie réelle, pour la planification écologique, pour l'éco-socialisme mais aussi contre le Front national, contre la droitisation de la pensée, contre l'austérité, contre tous les intégrismes.

 


 

Question animale : don et contre don

Aucun changement de société n’est possible sans changer notre rapport à la nature et notamment au monde animal. Comment en finir avec la domination et l’exploitation sans sombrer dans les impasses de la libération animale ? Et si nous considérions que la logique du don et du contre-don pouvait fonder d’autres rapports au monde animal ?

Des productions animales aux ersatz biotech, vers une agriculture sans élevage

Face aux méfaits du productivisme de l’industrie animalière comment défendre l’élevage et les éleveurs ? Mais comment penser un monde dans lequel les animaux seraient presque totalement absents ?

Microcrédit, macro-arnaque : du travail et de l’emploi pour les femmes. Pas des dettes

Depuis le début de l’année 2011, près de 4500 personnes, des femmes principalement, se sont organisées dans l’Association de Protection Populaire pour le Développement Social, et mènent une lutte dans la région de Ouarzazate, dans le Sud du Maroc, contre des institutions de micro- crédit, pour abus de confiance et conditions de crédit insoutenables.

Pour une souveraineté alimentaire locale

« Agissons ensemble pour une souveraineté alimentaire locale », telle a été le leitmotiv du MIRAMAP (Mouvement interrégional des AMAP) à l’occasion des 10 ans des AMAP à Aubagne en décembre 2011. La souveraineté alimentaire est un concept promu en 1996 par Via Campesina, et dont la définition de 2003 indique qu’elle « désigne le droit des populations, de leurs pays ou unions, à définir leur politique agricole et alimentaire, sans dumping vis-à-vis des pays tiers ».

L’Union européenne ou la démocratie

Le 4 février 2014, le sénateur socialiste Alain Fauconnier déposait un projet de loi visant à interdire la culture de maïs transgénique sur le territoire français. Au cours de l’examen du texte, le sénateur UMP Jean Bizet lui opposait une exception d’irrecevabilité. La motion qu’il soumettait au vote indiquait : « L’article 88-1 de la Constitution reconnaît le principe de la primauté du droit européen sur la loi française. Or, le droit européen ne permet pas aux États de prendre une mesure d’interdiction générale de la mise en culture de variétés de maïs génétiquement modifié sur le territoire national. » Par 171 voix contre 169, l’exception d’irrecevabilité était retenue.

Les profits des banques grâce à la répression

Pour la classe des élites économique, industrielle ou bancaire, la répression et les guerres peuvent être très profitables pour les profits et les débouchées économiques.

Les halles du gouvernement : multinationales, faites vos courses !

Elise Ayrault, secrétaire géné- rale de l’association Résistance à l’agression publicitaire (R.A.P.)
Les Zindigné(e)s invitent à redévelopper le mouvement pour une rentrée sans marques, contre toute présence de la publicité à l’école ! La deuxième droite socialiste multiplie en effet les cadeaux aux grandes firmes et leur ouvre le marché éducatif.

Quand le conseil constitutionnel invente la déclaration des droits du patron

La censure de certains articles de la loi visant à reconquérir l’économie réelle, dite « loi Florange », obligeant un chef d’entreprise de plus de 1000 salariés voulant se débarrasser d’un site rentable à chercher un repreneur, illustre la conception néo-libérale de la propriété et révèle son extrême confusion.

Rouvrir la question démocratique

Manuel Cervera-Marzal, chercheur en science politique
Face à la crise démocratique dont l’explosion du taux d’abstention à gauche n’est qu’un symptôme parmi d’autres, que faire ? Renoncer au pouvoir, désobéir pour dire Non mais aussi pour dire Oui en créant d’autres façons de vivre la politique. Avancer vers des formes autogestionnaires. Nous sommes aussi aux Zindigné(e)s des partageux en matière de pouvoir !

Le choix du renoncement

Pourquoi renoncer au pouvoir ? Nous qui aimons tant le non cumul des mandats avons été séduits par cette décision de Patrice Brun, ancien Président de l’Université de Bordeaux 3

expérimentation démocratique

Les Zindigné(e)s sont le journal des amoureux de la démocratie réelle, démocratie directe, démocratie participative, autogestion... Nous donnons dans ce numéro la parole à Claude Carrey... Comment pratiquer concrètement l’autogestion ?

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L’irrésistible ascension de la petite bourgeoisie intellectuelle

Jean-Pierre Garnier et Louis Janover ont montré dans La deuxième droite1 que la reproduction des rapports de production capitalistes ne peut s’effectuer, lorsque ceux- ci ont atteint un certain stade de développement, qu’avec le concours structurel d’une classe intermédiaire scolairement dotée et préposée aux tâches de médiation assurant le relais entre direction et exécution, soit entre « le haut » et « le bas » de la société.

Du « social » au « sociétal »

Jean-Pierre Garnier De par sa position médiane et sa fonction médiatrice, la PBI (Petite Bourgeoisie Intellectuelle) ne peut qu’être traversée par les contradictions sociales qu’elle a pour vocation structurelle de gérer. Or, vivre ainsi le c... entre deux chaises c’est-à-dire cerveau entre deux classes n’est pas chose aisée. D’où un malaise à la fois idéologique et psychologique qui incite les néo-petits bourgeois à se réfugier la plupart du temps dans le déni et la mauvaise foi.

Pourquoi nous avons besoin de philo pour enfants !

L’éducation est un point central de la philosophie. Nous pensons aux Zindigné(e)s avec Lilian Noiret que les enfants peuvent être de grands philosophes à leur manière. L’expansion de la philosophie pour enfants en l’exemple même. Il devient possible d’en faire dès la maternelle.

La politique hors-sol

Yann Fiévet, économiste
L’on connaissait l’agriculture hors-sol qui engraisse ses animaux enfermés loin des prairies à l’herbe grasse ou du regard doux des enfants et fait pousser des légumes en suspension dans l’air. Le productivisme mâtiné de technocratie arrogante en fut la cause voilà cinquante ans.

Productivisme/Antiproductivisme : le débat est enfin ouvert !

Les Zindigné(e)s ont publié en mars Une lettre ouverte à Amar Bellal responsable communiste de la revue « Progressistes », symptôme, disions nous, d’une gauche toujours productiviste sinon scientiste. Nous publions ci- dessous la réponse d’ Amar Bellal.

Que nous apprend Babeuf aujourd’hui

Benoit Schneckenburger, philosophe
... La pauvreté apparaît de plus en plus comme une forme de fatalité. Raison de plus pour s’intéresser à ceux qui l’ont toujours combattue. Tel a été le cas de Gracchus Babeuf, au cœur de la Révolution française.

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