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Philosophie, écologie, politique. Florent Bussy, Professeur de philosophie.
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22 décembre 2014

Les Zindignés N°20 Conditions de vie et de conditions de la vie.

 

http://golias-editions.fr/article5294.html

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http://www.golias-editions.fr/thelia/?fond=produit&id_produit=1053&id_rubrique=80

 

Conditions de vie et conditions de la vie
Florent Bussy

Le socialisme est historiquement au service de l'égalité sociale, de conditions de vie décentes et de l'épanouissement culturel de tous les membres d'une société et, par-delà, de l'humanité. Ce principe est bafoué depuis plusieurs décennies par les partis de la social-démocratie qui se sont convertis, quoi qu'ils en disent, au libéralisme économique, à la recherche du profit et à la lutte de tous contre chacun. Mais le but du socialisme n'a pas varié, nous luttons toujours pour le partage des richesses.

Les richesses n'ont d'ailleurs jamais été aussi grandes tout en étant concentrées entre des mains toujours moins nombreuses. On peut certes évoquer l'apparition de classes moyennes dans les pays dits émergents, comme la Chine, l'Inde ou le Brésil, mais la pauvreté s'est accrue en même temps que la population mondiale. Nous n'admettrons jamais que le monde soit ainsi fait. Pourtant, le socialisme, s'est enfermé, pendant près d'un siècle, sous l'égide du communisme soviétique, dans une impasse dont il n'est pas encore pleinement sorti, il a mimé le capitalisme, en attendant le salut de la croissance, c'est-à-dire en soumettant l'idéal qui était le sien aux conditions de son adversaire, l'aliénation du travail humain aux règles du capitalisme et au principe qui sert de paravent à sa nature prédatrice, à savoir qu'il faut faire grandir le gâteau pour pouvoir le partager d'une manière qui profite à tous. Des décennies d'expérience productiviste nous ont pourtant appris que même si le gâteau grandit, les classes populaires n'en reçoivent au mieux que des miettes quand ce n'est pas simplement l'aumône publique.

La fin du communisme et l'entrée dans l'ère du capitalisme total nous ont permis de comprendre qu'on ne peut rompre avec la prédation économique en voulant dominer la nature, c'est-à-dire non simplement « le corps inorganique de l'homme » (Marx), mais la vie elle-même, présente en chacun d'entre nous. Dominer l'homme pour le faire produire plus et dominer la nature pour en extraire des matières sans se soucier de leur devenir ont un but commun, il s'agit de dégager un profit, n'ayant pour signification que la puissance et le narcissisme. La crise écologique et la crise climatique sont les derniers avatars de la crise ouverte par le capitalisme et la recherche du profit, lesquels pressurent tout ce qui produit de la richesse, indifférents aux dégâts qu'ils occasionnent, s'en nourrissant au contraire.

Le socialisme aujourd'hui ne peut donc plus se préoccuper seulement des conditions de vie des hommes, en laissant de côté l'enjeu majeur que constitue l'écologie. Parce que les conditions de vie des hommes, pour être décentes, doivent être en accord avec les conditions de la vie, la pérennité de la vie sur terre, alors que le réchauffement climatique, dont la prédation capitaliste et les modes de vie qui en procèdent (consommation) sont la source, menace l'existence même de l'humanité et de ses civilisations. Il ne s'agit pas d'opposer les conditions de la vie aux conditions de vie, au nom de l'urgence et de la prééminence des premières, mais de montrer que les inégalités et la misère sont aussi indécentes que le gaspillage et la destruction de la nature, en sa profusion et sa beauté.

Notre époque est cynique, nous baignons dans l'indifférence aux autres être humains, nous sommes accoutumés à considérer que rien n'importe que notre jouissance du moment, que le monde est un spectacle ou un terrain de jeu. La violence de notre économie à l'égard de la nature, du travail humain ne reçoit pas de représentation politique, puisque s'imposent les seuls partis qui partagent les principes du capitalisme. C'est pourquoi la rupture avec le capitalisme, qui ne signifie ni le renoncement à produire, ni le retour à l'âge de pierre, ne peut séparer, dans la lutte, la recherche de l'égalité (partage des richesses, démocratie participative) et la préservation des conditions de la vie, de la nature. L'indifférence à l'une ou l'autre s'abîme dans une écologie apolitique et aveugle ou dans un culte de la croissance prolongeant les impasses du socialisme. L'écosocialisme réunit ce qui n'aurait jamais dû être séparé, pour que l'amélioration des conditions de vie des hommes ne se paie pas du prix de la destruction des conditions de la vie. Pour que le progrès du progrès ne soit pas la catastrophe de l'avenir.

De nombreux auteurs l'avaient déjà perçu au XIXe siècle, Élisée Reclus, William Morris entre autres. Mais l'obsession de la croissance a tout balayé sur son passage. Nos élites dites socialistes n'ont plus que ce mot à la bouche aujourd'hui, dissimulant cyniquement derrière leurs querelles byzantines avec la droite, qu'elles partagent tous les objectifs de l'économie capitaliste. Aujourd'hui, avec les connaissances scientifiques que nous avons acquises concernant la biosphère et le réchauffement climatique, nous savons que les conditions de la vie humaine ne sont pas entre nos mains, que notre existence est le fruit de multiples phénomènes et que des bouleversements massifs, en particulier climatiques, peuvent conduire à notre disparition, de même qu'ils conduisent aujourd'hui à l'effondrement de la biodiversité. Ainsi, au cours de son histoire, la planète n'a pas toujours été recouverte de glace à ses pôles, le niveau des mers était alors de 70 mètres plus élevé qu'actuellement. L'entrée dans « l'anthropocène » marque un nouvel âge géologique, où les activités humaines induisent des changements importants qui peuvent reconfigurer les reliefs. Mais nous ne maîtrisons rien, nous avons l'expérience tragique de la puissance naturelle libérée par le réchauffement climatique (par exemple en 2005 avec Katrina). Nous savons aussi que la fonte des grands glaciers aux pôles, au Groenland, du permafrost sibérien accélérerait le réchauffement. Au-delà de 3 à 4° C de réchauffement, nous ne savons pas ce qu'il adviendrait des conditions de la vie humaine. Or, les prévisions les plus pessimistes parlent maintenant de 4 à 6 degrés.

Pour que les conditions de vie et les conditions de la vie soient comprises conjointement comme ce qui doit être défendu, il faut mesurer que la vie humaine, tant individuellement que biologiquement, est fragile, que personne ne peut être libéré de la mort (même si évidemment les inégalités sociales sont aussi des inégalités devant la souffrance, la maladie et la mort), que se soumettre au fantasme de la puissance est une illusion démentie par la vie, que l'existence humaine n'a été possible qu'à l'articulation de facteurs naturels non-maîtrisables et non-reproductibles par l'homme. Nous sommes fragiles, notre espèce est fragile. Il convient de le mesurer pour cesser de courir après des chimères qui nous condamnent à l'errance et à l'aventurisme : le fantasme de la solution technique aux crises qui nous étreignent, le rêve d'une planète nouvelle où nous pourrions tout recommencer à zéro (pour le même résultat ?), qui nous permet en attendant de continuer à polluer comme si de rien n'était.

Hannah Arendt expliquait ainsi, au début des années 50, que le refus par les hommes de leur condition, qu'ils reçoivent passivement, c'est-à-dire le fantasme de se créer ou de se recréer soi-même, était vecteur d'une très grave crise de nos sociétés modernes. Nous y sommes. « Le premier résultat désastreux de l’accès de l’homme à la maturité est que l’homme moderne a fini par en vouloir à tout ce qui lui est donné, même sa propre existence – à en vouloir au fait même qu’il n’est pas son propre créateur ni celui de l’univers. […] L’alternative à un tel ressentiment, base psychologique du nihilisme contempo­rain, serait une gratitude fondamentale pour les quelques choses élémentaires qui nous sont véritablement et invariablement données, comme la vie elle-même, l’existence de l’homme et le monde. »[1]

 



[1] Hannah Arendt, Les Origines du totalita­risme, édition de P. Bouretz, Paris, Gallimard « Quarto », 2002, p. 872.

 

 

http://viedelabrochure.canalblog.com/archives/2014/12/21/31180737.html

 

Le n° 20 des Zindigné(e)s vient de paraître.

Le projecteur est braqué sur les Amérindiens de Guyane.

Etrange zone que ce petit bout des Amériques qui a été partagé entre trois pays, la France, les Pays-Bas (Le Suriname est devenu indépendant en 1975 avec le néerlandais comme langue officielle) et la Grande Bretagne (Guyana indépendance depuis 1966 avec langue officielle l'anglais).

Mais mon intention est seulement d'attirer l'attention sur les articles de deux philosophes, l'un que je connais depuis longtemps André Tosel (soutien majeur de Gransci en France) et l'autre que je ne connaissais pas : Florent Bussy.

 André Tosel vient de publier Essai pour une culture du futur aux Editions du Croquant et à la question qui termine l'entretien des Zidigné(e)s sur Comment ne pas désespérer il répond :

"Il ne s'agit pas d'espérer face à cet état du monde qui est un monstre. La capacité à accroître pour le plus grand nombre possible d'individus la compréhension de ce monde monstre apporte déjà une raison pour sortir de l'abattement. Mais un savoir des raisons de tristesse est un triste savoir qui ne peut qu'augmenter la tristesse et l'impuissance."

 Florent Bussy évoque plutôt les conditions de la vie dont la conscience doit nous porter aussi haut que celle des conditions de vie. Il vient de publier au Editions du Cerf Le Totalitarisme histoire et philosophie d'un phénomène politique qui me réconcilie avec la pensée du totalitarisme, concept dont je doute de l'efficacité. Il est aussi l'auteur de Critique de la raison automobile.

 Je rappelle que la revue des Zindigné(e)s est seulement accessible sur abonnement.

On y trouve cependant des articles comme un que j'ai évoqué sur ce blog au sujet d'Arnaud Munster ; http://www.les-indignes-revue.fr/spip.php?article39

Jean-Paul Damaggio

 

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