Pellos et les Pieds-Nickelés
Depuis 1998, je suis un lecteur des Pieds Nickelés dessinés par René Pellos. J'ai récemment terminé la collection de l'intégrale chez Vent d'Ouest, il ne manque que deux des trois hors série, très difficiles à trouver.
Voici ce que j'écrivais en 1998.
« René Pellos est mort ». Ce jour d’avril 98, la nouvelle attira immédiatement mon attention. Pellos était donc mort. Depuis un an, j’allais presque chaque semaine à la bibliothèque, lire un des tomes des aventures des Pieds-Nickelés. Une parenthèse s’ouvrait alors pendant une heure, de pur bonheur, de joie intellectuelle, esthétique et humoristique. Les aventures des trois compères me plaisaient par dessus tout : Croquignol le grand déguingandé blond mal rasé au long nez, Ribouldingue le gros barbu édenté aux cheveux hirsutes, Filochard le petit borgne moustachu avaient le don de séduire leur lecteur, par les dons qui étaient les leurs, l’astuce, l’ironie, le sarcasme, la volonté, la fidélité, la justice, la générosité, des hommes complets en un mot, mais dont la qualité la plus remarquable était l’étonnement. Rien a priori ne leur paraissait dénué d’intérêt pour peu, justement, qu’ils y trouvent quelque nouveauté, sur laquelle ils pourraient exercer leurs facultés d’analyse, d’entreprise, d’invention. L’argent paraissait finalement accessoire dans toutes ses aventures, où on le voyait justement tourné constamment en dérision. Le seul moteur apparent de leurs aventures, c’était le rêve, la chimère de la réussite, de la gloire. Mais en toute situation, l’audace, la dérision et la folie l’emportaient sur la satisfaction ou la jouissance d’un luxe mérité. Malgré les sommes colossales amassées, l’appel de l’aventure l’emportait toujours, il fallait tout risquer plutôt que de se satisfaire. Au total, un bon repas entre copains, ou un simple canon pris à Paris, après un retour mouvementé à la case départ, soldaient les incroyables péripéties au bout du monde. L’argent n’était qu’un rêve, la réalité qui seule vaut d’être vécue, c’est celle de l’amitié prise dans les tourments infinis de l’existence. Ainsi, combien de fois ne s’enthousiasmèrent-ils pas aux propositions de Croquignol, alors même qu’ils pouvaient se retirer bien à l’abri de leurs moissons fructueuses. Mais que seraient devenus les Pieds-Nickelés si l’opinion des autres leur avait été nécessaire pour vivre heureux ? On est étonné du si peu de relations qu’ils entretiennent avec les autres. Comme si la liberté était à ce prix qu’elle ne se compromet pas, et que l’ironie seule pouvait nous préserver de cette satisfaction bien-heureuse dans l’argent, où il ne faut voir rien d’autre que ce château en ruine, théâtre du premier de l’an des Pieds-Nickelés, qui est toujours rattrapé par la réalité sociale et policière, par l’ennui et les ennuis.
Et c’est toujours sur cette fin d’abattement, mais aussi de liberté et de calme retrouvé, que s’achevait l’aventure.